Génération Top Chef : le nouveau visage de la gastronomie

Génération Top Chef : le nouveau visage de la gastronomie

Ils sont jeunes, dynamiques, créatifs, passionnés et redéfinissent les normes d’un métier qui n’a jamais été aussi médiatisé. Qui est cette nouvelle génération de chefs, aussi à l’aise en cuisine que sur les plateaux télé et les réseaux sociaux ?

 

 

Au printemps 2021, raz de marée dans le paysage gastronomique français : Jean Imbert remplace Alain Ducasse au mythique Plaza Athénée. Surnommé le « chef des stars », le jeune homme n’a pas un parcours classique. Vainqueur de la saison 3 de Top Chef en 2012, son image a envahi la presse, les plateaux télé et les réseaux sociaux depuis quelques années. Dans le monde de la haute hôtellerie et de la gastronomie, l’arrivée au Plaza Athénée d’un représentant de la génération « Top Chef » fait couler beaucoup d’encre.

Depuis un an, Jean Imbert est désormais à la tête des cuisines du Plaza Athénée

 

Cet évènement est symptomatique d’une révolution qui semble s’opérer en cuisine : celle d’un conflit générationnel entre chefs, où les codes et usages sont remis en question. Qui sont ces nouveaux acteurs de la lignée « Top Chef » et comment font-ils bouger les lignes de la gastronomie française ?

 

 

Cuisiniers, mais aussi experts du personal branding

 

De nos jours, les chefs sont définitivement sortis de leurs cuisines pour se révéler au grand public, notamment grâce à l’influence de la télévision qui leur a donné une couverture médiatique hors norme. Ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui puisque Paul Bocuse a été le premier à amener les chefs sur les plateaux télé dès les années 1970. Mais l’engouement grandissant des spectateurs français pour la cuisine a exacerbé cette réalité, propulsant presque les chefs au rang de stars nationales. Pas si étonnant que deux grands chefs français aient fait leur entrée l’année dernière dans le Top 50 de personnalités préférées des Français (IFOP et le Journal du Dimanche) : Philippe Etchebest à la 7ème place et Cyril Lignac à la 14ème place.

« Aujourd’hui, on ne consomme plus une cuisine, on consomme des chefs » explique Thierry Marx dans une interview pour FranceInfo. On ne dine plus au Plaza Athénée, à la Tour d’Argent, à la Coupole, mais chez Jean Imbert, chez Jean-François Piège, chez Hélène Darroze. Les noms des restaurants ont presque disparu au profit de noms de chefs renommés et charismatiques. Ce changement de paradigme, les jeunes chefs l’ont bien compris et profitent de cet engouement pour soigner leur personnage

 

La tenue de cuisine de Mory Sacko : un kimono que relève un empiècement en wax / Ses influences culinaires : l’Afrique, le Japon et la France

 

Parmi les chefs nouvelle génération, nombreux sont ceux qui capitalisent sur leur personnalité pour accentuer leur différence, à l’image presque d’un positionnement de marque. Cuisine identitaire, look soigné, identité graphique pour leur restaurant… les moyens sont nombreux pour asseoir leur singularité, presque dans une logique de personal branding. Candidat de la 11ème saison de Top Chef et récemment récompensé d’une étoile au Guide Michelin, Mory Sacko n’a épargné aucun détail pour l’ouverture de son restaurant MoSuke. Sa cuisine africaine originale est sublimée par des inspirations japonaises et françaises. Le jeune chef a troqué la tenue traditionnelle pour un kimono relevé d’un empiècement en wax, un tissu traditionnel africain. Un motif que l’on retrouve dans le logo de son restaurant et dans la décoration de la salle. Ce n’est pas juste un repas mais une immersion totale dans ses origines et son univers qu’offre Mory Sacko à des clients désireux d’entretenir plus de proximité avec les chefs.

 

 

Fédérer la communauté, une nouvelle nécessité

 

La télévision n’est pas le seul tremplin pour la gastronomie, et la génération « Top Chef » use de nombreux moyens pour déployer leur présence. En bonne Digital native, elle joue avec les usages de notre société moderne – réseaux sociaux, plateformes vidéo, social media – pour diffuser leur storytelling. Car au final, la cuisine a toujours raconté une histoire. Mais nos outils actuels permettent de la diffuser au plus grand nombre et de la façonner à son image.

En quelques années, Instagram a pris une place colossale dans le milieu de la gastronomie. L’application est presque devenue indispensable et même les plus réfractaires ont dû s’y convertir. En 2019, « plus de 70% des chefs français avaient un compte Instagram » avance Damien Rodière, directeur France de l’application de réservation La Fourchette. Un chiffre qui a encore augmenté avec les confinements et les fermetures des restaurants. Sous l’influence de la jeune génération, les réseaux sociaux sont devenus un moyen de créer une proximité entre les chefs et leurs clients, de plonger dans les coulisses des restaurants. C’est aussi un support idéal pour se mettre en scène, sublimer sa cuisine, partager ses recettes, raconter l’histoire de ses influences. D’autant plus que les français – en fins gourmets – sont friands de ce type de contenus.

 

Les trompe-l’oeil en fruit de Cédric sur son compte Instagram, comptant plus de 2 millions d’abonnés / Sur TikTok, Diego Allary rassemble 2,8 millions d’abonnés

 

Sur Instagram, le chef pâtissier Cédric Grolet affole la toile avec ses visuels gourmands et surprenants. Rassemblant plus de 2 millions d’abonnés, il met en scène ses créations qui sont un régal pour les yeux et dévoile la confection de ces petites œuvres d’art dans des vidéos presque « oddly satisfying » (étrangement satisfaisante, des vidéos proches de la tendance ASMR). Sur TikTok, c’est Diego Alary – jeune chef tout droit sorti de Top Chef – le roi. Diego y dévoile ses recettes du quotidien pour prouver aux jeunes que la bonne cuisine peut être accessible à tous. Avec plus de 2,8 millions d’abonnés, il est rapidement devenu le Chef français le plus suivi de l’application. De quoi assurer le succès de son restaurant ouvert il y a moins de deux mois pour quelques temps.

 

 

Plus que de la cuisine, un véritable entertainment

 

8 Millennials sur 10 préfèrent dépenser leur argent pour une expérience plutôt que pour un bien matériel (étude Eventbrite & Harris). Une évolution des comportements bienvenue pour la gastronomie, expérientielle par nature. Auparavant réservées à une élite, de nouvelles expériences gastronomiques plus accessibles se multiplient, sous l’impulsion de jeunes chefs qui connaissent les attentes des nouvelles générations.

Eux-mêmes Millennials, ces chefs offrent désormais des expériences exclusives, mémorables et qui vont au-delà des sensations gustatives. En véritables chefs de projet évènementiels, ils multiplient les occasions : restaurants éphémères, restaurants concepts, co-branding avec des marques, food court dans des lieux tendance, repas immersifs…  des expériences inédites à partager avec son entourage. Cette stratégie permet aux chefs d’étendre leur notoriété au-delà de leur restaurant et de leur communauté. Elle leur permet également de répondre aux attentes de clients toujours avides de nouveautés et de créer l’attente, de l’exclusivité et du divertissement autour de leur cuisine.

Alexia Duchêne s’installe au Wanderlust avec une carte 100% street food / Under the Sea : le premier restaurant immersif de Paris ouvre ses portes

 

On pense alors à ces chefs à qui on donne carte blanche pour créer l’évènement : Jean Imbert signe la carte du restaurant Dior, Alexia Duchêne et Diego Allary s’installent au Wanderlust l’été, Mory Sacko prend les rênes de la terrasse éphémère du Palais de Tokyo. D’autres préfèrent créer leur propre concept et capitaliser sur des thématiques qui leur sont chères : Jean Imbert lançait son restaurant nostalgique « Mamie », les deux candidats adulés de Top Chef Adrien Cachot et Mallory Gabsi ouvraient leur friterie éphémère sur la Seine.  Le mois dernier, trois jeunes diplômées de l’Institut Paul Bocuse, lançaient « Under the Sea », le premier restaurant immersif de paris pour un dîner magique et abordable vingt mille lieues sous les mers. La scène culinaire française est en pleine ébullition et n’a pas fini de réenchanter notre quotidien.

 

Matthias Marc, ex-candidat de la précédente saison de Top Chef, vient de décrocher une étoile Michelin pour son restaurant Substance.

 

Avec l’avènement de la Génération « Top Chef », les chefs s’ouvrent au grand public, se diversifient et maitrisent désormais d’autres domaines que la cuisine, même si cette dernière reste le point de départ de tout. Cette diversification et cette médiatisation sont-elles la clé du succès pour les chefs aujourd’hui ? Entre reconnaissance de ses pairs ou approbation du grand public, l’ambition et la cible ne sont pas les mêmes. Certains professionnels de la gastronomie déplorent déjà la starification du métier, qui selon eux détourne l’attention de ce qui compte vraiment : la cuisine et le goût. Dans son interview à FranceInfo, Thierry Marx analysait assez justement cette tension.

« Aujourd’hui dans nos métiers s’opposent des gens qui idéalisent une posture sur les réseaux sociaux et une histoire de cuisine qui doit s’écrire durablement. Moi je pense que la réponse ce sera le public. »

 

 

Marine Simondi, Strategic Planner

740 416 France