La nostalgie peut-elle être un vecteur d’innovation ?

La nostalgie peut-elle être un vecteur d’innovation ?

Fin 2021, pour la première fois dans leur histoire respective, Joué Club et La Grande Récré ont chacun sorti un catalogue papier destiné aux adultes. En plus du format qui nous replonge en enfance à l’heure du e-commerce et des influenceurs en ligne, les idées cadeau ne relèvent pas que du jeu “sérieux” pour les plus grands : licences Harry Potter ou Dragon Ball Z, animations ludiques pour l’apéro, hommage à Namco et autres expériences régressives. De nos loisirs à la politique en passant par la cuisine et la culture, pas un pan de notre société n’échappe à la nostalgie et la rengaine du “c’était mieux avant”. Même les plus jeunes, chez qui on projette naturellement – manifestement à tort – des envies d’avant-garde et de rupture, célèbrent un passé plus ou moins proche pour son authenticité fantasmée.

Source : Alternatives Économiques 2021

Alors que 68% des français auraient souhaité vivre à une époque révolue, le marketing de la nostalgie semble avoir de beaux jours devant lui. Des marques autrefois disparues ou presque ont connu une résurrection qui a valeur de canonisation : Polaroid, K-Way ou encore Solex sont devenues iconiques avec leur retour sur le devant de la scène. Mais face à cette vague de rétro-marketing, sommes-nous condamnés au passéisme et à un éternel recommencement ? Chez Logic Design, nous pensons que non ! À partir des travaux d’Aurélie Kessous et Elyette Roux qui ont identifié 4 moments nostalgiques types chez les individus, nous avons analysé le cas de marques qui innovent, voire disruptent leurs marchés, en jouant sur la nostalgie.

Source : Kessous Aurélie et Roux Elyette (2009), Les consommateurs et la nostalgie : une typologie factorielle confirmatoire, Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14-15 mai 2009

 

#1 RAVIVER LE QUOTIDIEN PASSÉ 

La nostalgie du quotidien fait appel au passé insouciant de l’enfance et de l’adolescence. On se rappelle des instants de vie du quotidien comme les petits déjeuners familiaux, les goûters à la sortie d’école, les jeux à la récréation. Les marques qui capitalisent sur ces souvenirs tentent de rassurer et réconforter leurs consommateurs : Frichiti et ses plats d’enfance, Dop et ses parfums « madeleine » ou « tarte à la fraise », Casio et sa nouvelle montre vintage en collaboration avec le jeu Pac-Man. Ici la nostalgie permet de revivre des moments passés ludiques et des expériences régressives.

Lego est aussi un très bon exemple de marque qui a su tirer profit de ce sentiment pour innover sur son marché en touchant une nouvelle cible : les adultes. En effet, un adulte sur trois jouent désormais aux Lego en France (PlayWell, 2020) et ils représentent aujourd’hui 20% des ventes du groupe, contre 5% en 2010. La marque a su raviver les souvenirs de ces grands enfants en jouant sur des licences nostalgiques (Friends, Totally Spies, Star Wars), en promouvant des lancements en éditions ultra limitées, en détournant ses produits en objets de décoration. Pour séduire les adultes, Lego vante aussi de nouveaux bénéfices : relaxation avec des playlists ASMR dédiées, ou ouverture à la créativité et l’innovation avec la méthode « Lego Serious Play ». La marque est ainsi parvenue à engager un public plus large et à devenir un symbole multigénérationnel.

 

#2 FAIRE PERDURER LA TRADITION

La nostalgie de la tradition veut faire perdurer le passé et transmettre son héritage. Elle répond ainsi à une quête de repères, satisfaite par exemple par l’attachement affectif et systématique à une même marque, mais aussi à une recherche de qualité qui se serait perdue avec le temps. Certaines marques vont alors capitaliser sur leur patrimoine et leur authenticité : Danone relance sa recette originelle sous la gamme « 1919 », de la même façon Pepsi-Cola lance un soda premium baptisé « 1893 ». Ce retour de la tradition est aussi une aubaine pour d’anciens usages aujourd’hui ressuscités : vinyles, appareils photos argentiques, CDs 2 titres… Dans un monde de plus en plus dématérialisé, le temps long et les expériences tangibles séduisent de plus en plus de consommateurs nostalgiques d’époques fantasmées.

C’est notamment ce qui fait aujourd’hui le succès de l’Orient Express, récemment remis sur les rails par la SNCF en collaboration avec Accor. Chacun a gardé en tête l’image luxuriante de ces voyages effectués de 1883 à 1977 à destination d’Istanbul, de Vienne, de Venise et érigé au rang de train mythique par Agatha Christie et son roman « Le Crime de l’Orient-Express » en 1934. Aujourd’hui, il est de nouveau possible de se rendre en Italie à bord d’un Orient-Express ressuscité et d’embarquer dans une nouvelle aventure, celle du « slow tourisme », responsable et respectueux de l’environnement. Mais là où le projet a su innover, c’est qu’il n’offre pas un voyage figé dans le passé. Arthur Mettetal, Directeur du Patrimoine et de la Culture pour l’Orient-Express, explique : « On propose une expérience qui s’appuie sur un passé riche et varié, mais on relance aussi un train qui prend en compte plein d’innovations technologiques et digitales et un meilleur confort pour les passagers ». De plus, c’est un art de vivre complet que souhaite désormais proposer la marque en diversifiant son offre et en collaborant avec des maisons de renom : art de la table, literie, maroquinerie de luxe, mais aussi hôtels dans les villes traversées par le train. L’Orient Express a ainsi su transformer et exploiter le meilleur de son héritage pour répondre aux nouvelles attentes de ses consommateurs.

 

#3 CÉLÉBRER UNE ÉTAPE TRANSITOIRE

La nostalgie de la transition est souvent associée aux premiers instants de liberté de la fin de l’adolescence et des premières années de l’âge adulte. C’est la nostalgie des « premières fois », qui s’attache particulièrement à des objets, comme la première voiture, le premier appartement la première cigarette ou même dans un contexte plus professionnel, le premier limonadier pour un barman. Ces objets ont eu une grande importance dans la construction de l’identité de l’individu. Il se remémore la personne qu’il a été et plusieurs marques jouent avec ces souvenirs nostalgiques : Levi’s et son « Project Survival » qui rend hommage au 1er soulèvement étudiant pour l’environnement dans les années 60, Volkswagen et son mythique combi, Ford et son parfum « Mach-Eau » aux effluves d’essence…

Renault joue alors sur ces souvenirs de la transition – et en particulier sur l’importance de la première voiture – pour remettre au goût du jour d’anciens modèles et renforcer l’intemporalité de la marque. « Renaulution » : voici le néologisme imaginé par la marque pour définir sa nouvelle révolution axée sur la mobilité électrique. Presque paradoxalement, cette nouvelle vague prend la forme d’une citadine mythique, ressuscitée pour l’occasion : la Renault 5. Immense succès dans les années 70, le nouveau modèle électrique de la Renault 5 touche la fibre nostalgique de ses premiers consommateurs tout en prenant en compte les exigences de demain. Et pour continuer à faire vivre son histoire, la marque propose également la vente de produits dérivés sur son « Originals Renault Store » (casquette, lunettes de soleil, blouson Teddy, collection de miniatures), devenant ainsi plus émotionnelle et lifestyle. La nostalgie favorise un rapport plus émotionnel avec sa cible.

 

#4 IMMORTALISER UN INSTANT RARE

La nostalgie de la rareté cristallise un instant unique et inoubliable de la vie de l’individu, ces moments qui créent un « avant / après ». Elle est particulièrement liée à des personnes aujourd’hui disparues et des objets auxquels elles sont associées, qui ravivent son souvenir, « la montre qu’il portait », « le manteau qu’elle mettait ». Pour les consommateurs attachés à ces instants rares, l’objet a donc valeur de mémoire. On retrouve alors des marques qui jouent sur le pouvoir de transmission de leurs produits, et qui capitalisent sur une image de pérennité. Les publicités de la marque horlogère Patek Philippe et leur slogan « Jamais vous ne posséderez complètement une Patek Philippe. Vous en serez juste le gardien pour les générations futures », en sont un très bon exemple.

Mais c’est la NBA qui a su le mieux innover en comprenant la valeur d’instants précieux. En effet, la plateforme « NBA Top Shot » commercialise désormais des moments iconiques du basket grâce aux NFTs. Pour rappel, un NFT (Non Fungible Token) est un élément inscrit dans la blockchain qui représente quelque chose d’unique. Il peut prendre la forme d’une image, d’une vidéo, d’une chanson et assure à son acheteur d’en être le seul propriétaire. Les fans de basket peuvent ainsi collectionner, échanger, vendre les plus beaux moments de leurs joueurs préférés. Avec ce nouveau marché de « cartes à collectionner » numériques, la NBA a su iconiser des pans de son histoire tout en innovant sur un nouveau marché.

 

 

Pour conclure, Bernard Cova, enseignant-chercheur en marketing et sociologie de la consommation à la Kedge Business School, nous expliquait : « Les marques qui ont le mieux compris notre époque — où, pour simplifier, le passé nous interpelle et le futur nous fait douter — font preuve de « nostalgie régénérative ». Elles vont puiser ce qu’il y avait de meilleur dans le passé pour le réinterpréter et écrire un nouveau futur, plus désirable. Ces marques se régénèrent dans le passé pour mieux avancer. » Pour envisager la nostalgie comme levier d’innovation, il ne suffit pas de copier le passé. Les marques doivent désormais penser des offres hybrides, entre héritage du passé et progrès du futur.

 

Marine Simondi et Arthur Sotto

1024 576 France